Et il suffit de dire que le lien ténu entre les deux disciplines ne s’arrête pas là. Qu’il s’agisse de radiothérapie, d’imagerie par résonance magnétique ou encore de radiopharmaceutique, la physique – et la physique des particules en particulier – soutient de nombreuses innovations médicales, dont certaines naissent directement d’une étroite collaboration entre hôpitaux, médecins et physiciens du CERN à Genève.
Des images du corps humain de meilleure qualité
Pour en dire plus sur cette collaboration, le cas de l’oncologie est sans doute l’un des exemples les plus marquants. À commencer par l’amélioration de ce que l’on appelle l’imagerie par émission de positons (PET ou PET scan en anglais), devenue aujourd’hui un outil clinique courant pour détecter les tumeurs et les métastases.
Près de 1 300 isotopes différents de 73 éléments chimiques sont produits au CERN. De leur côté, les HUG disposent de leur propre cyclotron, un petit accélérateur permettant de produire des radio-isotopes à des fins de diagnostic. « L’idée est de prendre une molécule, comme le glucose, et de la marquer avec des radio-isotopes en produisant un produit radiopharmaceutique qui est injecté au patient », explique le professeur Valentina Garibotto, médecin-chef du service d’imagerie nucléaire et moléculaire des HUG. L’une des caractéristiques fascinantes et uniques de cette technique est que nous pouvons observer toutes les interactions entre le produit radiopharmaceutique et les molécules corporelles qu’il cible, sans endommager les tissus sains.
Retour sur les années 1980 Le professeur Antoine Geissbuhler, doyen de la Faculté de médecine de l’Université de Genève et directeur de la formation et de la recherche aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), était encore étudiant en médecine lorsqu’il a obtenu un poste en médecine nucléaire. Département des HUG. Quiconque est déjà passionné de programmation informatique est loin d’imaginer que cet engagement lui permettra de collaborer avec deux physiciens de renom : Georges Charpak, prix Nobel 1992 pour son invention de la chambre proportionnelle multifils – un détecteur d’un nouveau des espèces capables d’enregistrer des millions de trajectoires de particules par seconde – et David Townsend, reconnu pour son travail innovant en imagerie TEP et, plus tard, pour son invention du PET-CT, une combinaison d’une caméra TEP et d’un scanner à rayons X.
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«Des physiciens du CERN – dont David Townsend – ont eu l’idée d’utiliser la technologie développée par Georges Charpak pour détecter les rayonnements électromagnétiques dans le cadre du TEP», décrit le médecin genevois. Résultat : des images de meilleure qualité et en même temps une réduction de la dose de rayonnement nécessaire. Et une technologie qui fait très vite son entrée dans les hôpitaux, notamment aux HUG. «La collaboration entre le CERN et les Hôpitaux universitaires de Genève a duré une dizaine d’années pour faire évoluer ces outils», rappelle Antoine Geissbuhler. Il s’agit d’un exemple de transfert de technologie réussi vers la médecine et est devenu un nom bien connu. succès acteur majeur dans le monde de l’imagerie médicale.
Un diagnostic hyperprécis
Restons du côté des détecteurs de particules, mais cette fois pour aborder les évolutions récentes de la médecine nucléaire. L’objectif : utiliser de petites quantités de radio-isotopes pour diagnostiquer et traiter le cancer. Les radio-isotopes sont des isotopes d’éléments chimiques qui présentent une instabilité nucléaire, c’est-à-dire qu’ils se désintègrent spontanément en émettant de la radioactivité. Certaines ont une durée de vie de quelques fractions de seconde, d’autres de quelques milliards d’années.
Pourquoi cette technique est-elle intéressante en oncologie ? « Les sites tumoraux, tout comme les infections, ont une consommation de glucose accrue », répond le médecin. Nous pouvons ainsi voir de très petites lésions et diagnostiquer très tôt des tumeurs que nous ne verrions pas avec d’autres techniques. Aujourd’hui, des dizaines de produits radiopharmaceutiques diagnostiques sont utilisés en clinique, principalement pour le cancer de la prostate, de la thyroïde et du sein.
Bombardement de tumeurs
En outre, les produits radiopharmaceutiques sont également étudiés pour leurs propriétés thérapeutiques. “Certains isotopes produisent des énergies élevées et ont la particularité de détruire les tissus cancéreux dans lesquels ils s’accumulent”, note Valentina Garibotto. C’est comme si nous bombardions localement la pathologie tumorale. Cette approche existe depuis longtemps pour le traitement du cancer de la thyroïde. Elle s’est également révélée plus efficace que toute autre approche de traitement du cancer.
D’autres radiopharmaceutiques thérapeutiques ont également fait leurs preuves ces dernières années, comme ceux ciblant une molécule appelée PSMA (Prostate Specific Membrane Antigen). Ceux-ci utilisent le même principe pour le cancer de la prostate métastatique, lorsque le patient ne répond pas aux lignes de traitement standards. « Des publications ont montré l’intérêt de cette approche par rapport à l’hormonothérapie ou à la chimiothérapie. Des études à grande échelle sont en cours qui encouragent son utilisation dans les phases précoces de la maladie », conclut Valentina Garibotto.
Depuis 2017, le projet Medicis (pour Medical Isotopes Collected from Isolde) du CERN fédère une collaboration internationale impliquant des hôpitaux francophones et d’autres institutions européennes et vise à développer des radio-isotopes au profil d’émission idéal pour un usage médical. “Nous produisons des isotopes pour la recherche nucléaire depuis plus de cinquante ans et il arrive que certains d’entre eux présentent des caractéristiques très intéressantes pour la médecine, notamment pour de nouvelles thérapies ciblées”, rappelle Manuela Cirilli, responsable des applications médicales au CERN dans le domaine des transfert de technologie . groupe. L’industrie ne peut pas se permettre d’entreprendre ce type de démarche sans que les perspectives commerciales soient déjà clairement identifiées, car cela pourrait s’avérer très coûteux. C’est pourquoi le CERN fait office de pont. Nous ne visons pas une production industrielle de ces isotopes, mais pouvons fournir la technologie aux institutions capables de prendre en charge leur production à l’échelle nécessaire.»
Rayonnements courts mais puissants
Passons maintenant aux accélérateurs de particules. Évoquer ce terme évoque immédiatement le Grand collisionneur de hadrons (LHC), d’une circonférence de 27 kilomètres. Cependant, il existe également des accélérateurs plus petits qui peuvent être adaptés pour appliquer la radiothérapie dans les hôpitaux.
Le principe – détruire les cellules cancéreuses en les exposant à de fortes doses de rayonnements – est connu depuis longtemps. Mais cela pourrait s’avérer encore plus efficace à l’avenir. Le Professeur Marie-Catherine Vozenin, responsable du secteur Radio-Oncologie et Radiobiologie aux HUG, est – avec Vincent Favaudon de l’Institut Curie de Paris – l’un des pionniers de ce que l’on appelle la radiothérapie Flash. Le principe de ce concept découvert il y a une dizaine d’années est d’irradier les tumeurs en un temps ultra-court, réduisant ainsi les dommages aux tissus voisins.
« Si l’on pouvait augmenter les doses délivrées par la radiothérapie standard, il serait possible d’éradiquer toutes les tumeurs », décrit Marie-Catherine Vozenin. Malheureusement, cela a pour effet d’induire une toxicité sur les tissus sains. C’est actuellement la principale limite de la radiothérapie. Avec Flash, nous avons pu démontrer dans des études chez la souris qu’il était possible de réduire ces complications en utilisant des faisceaux capables de délivrer des doses dans un laps de temps de l’ordre de quelques millisecondes, contre plusieurs minutes avec la méthode conventionnelle.
En collaboration avec le CERN – et son accélérateur de particules appelé Clear – la chercheuse et son équipe ont réussi à augmenter encore la vitesse et l’efficacité, en délivrant des doses d’irradiation en quelques nanosecondes (un milliardième de seconde), et même en une picoseconde (un billionième de seconde). une seconde). « Les tissus sains sont capables de supporter cette radiation très rapide, mais pas les tumeurs qui sont détruites », ajoute Marie-Catherine Vozenin.
Des études de faisabilité sont actuellement menées chez des animaux patients, notamment chez des chats traités à l’école vétérinaire de Zurich pour des tumeurs de mauvais pronostic. “Les expériences montrent une très bonne efficacité antitumorale pour tous les types de tumeurs, et une protection pour tous les types de tissus sains”, note le chercheur. Cependant, dans certains cas, on constate également des complications tardives. Cela nous indique quelles limites nous devons définir afin de progresser et de mener des essais cliniques sur l’homme à l’avenir.
Même s’il faudra sans doute attendre quelques années avant que cette technique n’entre en clinique, elle est déjà imitée puisque tous les grands centres de lutte contre le cancer développent des projets de thérapie Flash, des États-Unis à l’Europe, en passant par la Chine et le Japon.