
« Manuella est tellement intelligente que nous avions peur qu’elle comprenne avant l’annonce. Elle a deux ans d’avance à l’école. Elle ira loin, c’est sûr ! » Manuella Mwanzana a 13 ans et est séropositive. C’est Caroline Nseka, une des psychopédagogues du centre de santé MSF de l’hôpital Kabinda à Kinshasa, qui l’a accompagnée, avec sa mère, dans la longue préparation à la révélation de sa maladie.
Celle que tout le monde ici appelle « Maman Caroline » est fière de la jeune fille qui suit sans hésiter son traitement depuis quatre ans, matin et soir. “Je n’y pense même plus, c’est devenu une routine”, précise la jeune fille en souriant. Sa charge virale est tombée à 39 copies par millilitre de sang (c/ml), ce qui signifie qu’elle n’est plus détectable et que le virus ne peut plus être transmis.
Manuella a été découverte à l’âge de 9 ans et a été infectée par une transfusion sanguine vers l’âge de 6 ans, explique Joëlle Musuamba, sa mère, mariée à une infirmière : « Nous vivons à Lubumbashi et ne comprenions pas pourquoi Manuella avait régulièrement des abcès aux oreilles et souffrait de fatigue chronique. »
Selon les chiffres de l’ONUSIDA pour 2022, plus de 60 000 enfants âgés de 0 à 14 ans vivent avec le VIH en République démocratique du Congo (RDC). Cela représente plus de 12 % des 500 000 personnes testées positives dans la zone. En moyenne, 16 000 enfants sont infectés chaque année par transmission mère-enfant, accidents quotidiens ou suite à des violences sexuelles.
“Ce qui les sauve, c’est justement leur jeunesse”
A titre de comparaison, en France, seuls 1 500 enfants de la même tranche d’âge sont séropositifs. Quant aux femmes, leur prévalence (pourcentage de personnes malades dans une population) est deux fois plus élevée (0,8%) que celle des hommes.
C’est pourquoi l’État congolais déploie un effort particulier, notamment à travers le dépistage systématique et gratuit des femmes enceintes, allaitantes et des nourrissons. Mais il est clair que trop de bébés continuent de passer entre les mailles du filet de la prévention et sont « capturés » de justesse pendant la petite enfance.
« Ce qui les sauve, c’est justement leur jeunesse, explique Joëlle Mbuaya, médecin spécialisée dans la prise en charge des patients de phase 3 et 4 au centre MSF. On remarque que la vitesse diminue plus rapidement chez un enfant que chez un adulte. Heureusement, perdre un enfant est rare. » Néanmoins, entre 3 000 et 5 800 enfants séropositifs sont morts en RDC en 2022, selon les Nations Unies.
Ces lacunes sont « en raison du manque d’approvisionnement en tests spécifiques, explique le docteur Gisèle Mucunya, coordinatrice médicale au centre Médecins sans frontières. Parce que les bébés doivent être testés plusieurs fois avant de pouvoir déterminer avec certitude leur statut, car ils sont porteurs des anticorps de leur mère pendant les premiers mois de leur vie, ce qui peut fausser le résultat dans un sens ou dans l’autre. Si la mère se décourage ou n’est pas suffisamment informée, son enfant risque d’échapper à notre vigilance.
L’annonce toujours difficile de la maladie
Pierrette Nanga, 15 ans, fait partie de ces enfants découverts trop tard. C’est après le décès de sa mère, décédée d’une crise d’épilepsie alors qu’elle avait deux ans et demi, que la petite fille tomba subitement malade. Sa grand-mère Espérance, veuve de 55 ans qui l’élève depuis, a immédiatement réagi et lui a fait tester. Pierrette, aujourd’hui adolescente, a été immédiatement mise sous traitement antirétroviral pédiatrique et a vu sa charge virale descendre en dessous de 40 (c/ml) en quelques années seulement.
Manuella et Pierrette ont toutes deux bénéficié d’un programme de divulgation progressive de leur maladie. “C’est entre 6 et 8 ans de l’enfant qu’on peut commencer à parler d’une pathologie et d’un traitement qui sera pérenne”, décrypte Eric Kanumay, psychologue clinicien au centre Médecins sans frontières. A cet âge-là, on ne parle pas du VIH. Nous disposons de toute une gamme de supports pédagogiques, une boîte à images, pour aider les enfants à comprendre le système des anticorps et les bienfaits des médicaments sur leur vie quotidienne. Ce n’est que vers l’âge de douze ans que l’on commence à parler de maladies sexuellement transmissibles. Puis, avec l’arrivée de la puberté et de l’adolescence, il est trop tard. Cela causera plus de problèmes qu’il ne pourra en résoudre. »
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Les parents sont impliqués dans cette sensibilisation et dans la préparation d’une annonce, ce qui est toujours difficile car le mot sida est encore tabou. Nous devons également les convaincre de se faire tester eux-mêmes. Pour éviter l’éclatement des familles et le rejet des mères par leur conjoint et/ou leur communauté, les couples sont également accompagnés par une équipe de psychologues et de médecins.
“Sortez du déni et de la peur”
« Aujourd’hui, nous pouvons échapper au déni et à la peur en expliquant aux adultes comme aux enfants que grâce au traitement, ils pourront vivre une vie normale, faire des projets et même avoir des enfants. »dit Caroline Nseka.
«Je n’ai pas été trop choqué lorsque j’ai reçu l’annonce ‘totale’. J’avais 12 ans, témoigne Pierrette, aujourd’hui lycéenne et en rêve « modiste » la tête pleine. Pour moi, c’était une maladie comme une autre. Par contre, je ne comprenais pas que je suivais un traitement tous les jours, même si je me sentais en bonne forme. » «C’est souvent le signe qu’il faut accélérer la phase finale de l’annonceexplique la psychoéducatrice. Sinon, le préadolescent s’ennuiera et abandonnera ses études. »
Manuella a été choquée, mais l’annonce partielle de sa maladie à l’âge de 10 ans l’a finalement soulagée : « Il était logique que je me sente souvent faible et fiévreux. Je ne comprenais pas pourquoi j’avais ces abcès aux oreilles qu’aucun autre enfant de mon entourage n’avait jamais eu. »
Cette année l’adolescent a intégré l’Institut Supérieur de Technologie Médicale de Kinshasa. “Après cela, j’étudierai la médecine à l’université, dit-elle fermement. Mon rêve est de devenir ministre de la Santé. Pour cela, je dois devenir médecin. » Manuella prend un stylo et une feuille de papier et les lui tend en riant : “Ecoute, j’ai déjà mon autographe !” »